Par Yaye Ndickou Sy
Pour préserver notre santé, le port du masque nous est exigé partout et pour tout le monde.
J’observe avec ironie la complainte de mes concitoyens sur les contraintes à porter ce masque toute la journée…
Quand je pense que je porte un masque depuis tellement longtemps….
Je n’ai pas eu besoin de voyager en Asie ou d’une épidémie mondiale pour adopter le masque dans ma vie quotidienne.
Mon masque à moi n’est pas fait de tissu, mon masque n’est ni chirurgical ni esthétique.
Mon masque à moi est fait de dignité et de pudeur.
Il me protège des sarcasmes des uns, du regard apitoyé de certains ou encore de la dictature des autres.
Oui, car je porte le masque de la sérénité face à ma belle-famille qui me reproche de ne pas donner d’héritier, à leur héritier, mon mari.
Leurs propos à mon égard, tantôt sarcastiques, tantôt menaçants mais jamais bienveillants, me classent dans la catégorie des femmes « handicapées » au ventre vide.
Alors je porte ce masque, devenu ma protection pour ne pas sombrer.
Mon masque de sérénité préserve ma dignité face à ces bienpensants, imbus de leur culture traditionnelle et prétendument religieuse sur mon rôle de femme réduit à celui d’être une génitrice.
Pour elle, j’ai failli à la principale mission qui m’est assignée : Perpétuer leur lignée.
Mon masque à moi cache mes dents qui mordent mes lèvres jusqu’à la saignée, pour empêcher mes larmes de couler.
Mon masque sert de barrière à ma bouche pour ne pas répondre à leurs paroles blessantes et parfois, de plus en plus souvent, à leurs insultes, à peine voilées.
Il m’empêche de leur dire le fond de ma pensée au nom de la diplomatie, de la retenue et des liens familiaux qui nous lient malgré tout.
Mon masque revêt la sérénité que j’affiche à mes amis et parents aux regards et gestes remplis de sollicitude à mon égard.
Il m’arrive d’envier aux femmes yéménites leur burka. Celle-ci cacherait aussi mon regard parfois rempli de détresse qui fait tant pitié à ceux qui m’aiment.
Mais ma dignité refuse cette pitié.
Je veux avoir la force de porter ma croix comme Jésus et accomplir ma mission comme Mouhamed (PSL).
Alors je porte mon masque la tête haute et affirme à tous que « je vais très bien » avec tout l’entrain dont je suis capable et un semblant de sourire qui j’espère réussit à cacher la tristesse de mes yeux
Mon masque à moi est le voile discret qui cache mes lèvres tuméfiées par les coups de mon mari.
Ses coups ont plu au même rythme qu’il sombrait au fil des mois après avoir perdu son travail.
Ses coups manifestent sa virilité qu’il estime avoir perdu au détriment de la dépense quotidienne que j’apporte désormais.
Alors le masque muselle mes peurs, mes angoisses et les reproches que je m’abstiens d’exprimer par amour pour lui mais aussi pour préserver sa dignité.
Au travail, je porte également un masque pour ne rien laisser transparaître de ces souffrances de ma vie personnelle.
Ce masque est aussi l’instrument de mon chef qui grâce à lui me muselle pour que je me plie à ses exigences prétendument hiérarchiques.
Le masque est une barrière à ma bouche qui, selon lui, ne devrait s’ouvrir sans sa permission.
Cette bouche, qui transmet les tribulations de mon cerveau bouillonnant d’idées, est apprivoisée sous mon masque pour ne pas faire trop de vagues, trop d’éclat.
Ma « soumission » en tant que subordonnée exige de lui laisser le monopole de la pensée et de la parole. Ma voix est une menace pour sa légitimité qui s’habille des principes du leadership galvaudés et tordus à souhait.
Alors, plaignez-vous chers concitoyens mais ce masque représente pour moi comme pour vous une protection, un moyen de survie, UN BOUCLIER.
La pandémie partira certainement un jour et vous pourrez enlever vos bouts de tissus.
Mais quand aurais-je la force de combattre mes virus, faire tomber mon masque et souffler pour libérer toutes ces douleurs qui me rongent ?
Quand aurais-je le droit d’enlever mon masque et respirer enfin l’air de la plénitude ?