Urban Man – Urban Woman : un couple à l’épreuve de la pandémie

Urban Woman : Saly

Mars 2020 : Corona Sénégalais, mois M.

Le (ou « la » selon l’humeur de l’Académie Française…) Corona est apparu depuis décembre en Chine et janvier en Europe. Mais c’est maintenant que notre Président a préféré faire son discours pour donner des « recommandations ».  Depuis que le Président de la République a parlé d’État d’urgence, des informations fusent de partout et j’avoue être perdue.

Les seules informations qui me font le plus stresser, ne sont ni celles liées au nombre de décès, ni celles concernant la vitesse de propagation de la maladie, mais, plutôt les « écoles fermées et limitations de déplacements, même pour aller travailler. »

Si on se réfère à ce qui se passe en France, il y aurait beaucoup plus de télétravail.

Ceci ne peut concerner que certaines professions pouvant se faire à distance comme la mienne et celle de Mor (chef d’entreprise).

Et, vu que nous, Sénégalais, nous sommes, de manière officieuse « un État Français » ayant à la tête un « gouverneur » … oups ! Mieux vaut que je me taise.

N’est-ce pas un complot pour rendre les mères de famille folles ? Ah ! Ça ne s’arrêtera jamais ces attaques contre la gente féminine.

Honnêtement, quelle épouse et mère serait contente d’être enfermée H24 dans un petit appartement, dans Dakar, avec deux garçons de 12 et 9ans ? Qui ?  Si vous en connaissez, donnez-moi des noms : je me ferai un plaisir de les contacter pour connaître leur secret. Et, je vous en conjure, épargnez-moi les discours sur l’amour d’une mère, la dévotion d’une épouse etc.

On peut aimer, être dévouée sans avoir à être le robot multifonctions du foyer.

Bon, je verrai demain comment ça va se passer au bureau ; mon chef, étant trop rigoureux pour nous demander de travailler à la maison.

C’est la tête pleine de ces pensées que je suis allée vaquer à mes tâches du soir : tout d’abord réchauffer le dîner que mon mari croit que j’ai cuisiné, alors que c’est ma domestique.

D’ailleurs, pour la petite histoire, mon cher mari voulait que je prépare moi-même ses repas du soir.

Dafa begg di lekk tous les soirs ce que sa femme chérie cuisine, d’après ses dires. Mais, comment puis-je finir mon travail de chargée de recrutement à 18h, parfois plus tard, être dans les embouteillages pendant 2 heures, pour ensuite lui faire son dîner et le mettre à table pour 21h ?

Je veux bien être une bonne épouse, vraiment « seyekatt la dei, » comme les braves Mame Diarra, Mama Astou Dianka et consorts mais, à l’époque, je suis désolée de le dire, elles ne travaillaient pas dans des bureaux et ne se tapaient pas d’embouteillage monstrueux dans une ville comme Dakar. « Seyye aussi da wara adapter wou quoi ! »

Oh, je divague ! Je ne me suis même pas présentée : je m’appelle Saly, j’ai 37 ans et je suis maman de deux garçons, Papi qui a 12 ans et Omar 9.

Je suis mariée à Mor Camara depuis maintenant 10 ans. Je suis sûre qu’en bon sénégalais cherchant toujours la petite bête des ragots, vous avez dû vite fait le calcul… Oui, j’ai eu mon aîné avant qu’on ne m’épouse. Et, oui, il a attendu 2 ans pour finalement me marier. Bref, trop compliqué, je vous expliquerai peut-être un jour, si vous voulez.

Pour le moment, il y a plus grave : cette maladie qui va mettre la vie, ma vie, en pause.

Mon travail était ma seule échappatoire face à ce mariage qui bat de l’aile depuis belle lurette. ; chaque matin, j’étais heureuse de sortir de cette maison, de retrouver mes collègues qui sont devenus des amis et de me donner à fond dans mes missions en ressources humaines.

Enfin ! Inutile de me prendre la tête, j’en saurai plus demain matin.

Dîner servi, Papi n’a pas voulu manger. Je lui ai fait des céréales et il a adoré. Qui a décrété que les céréales ne devaient se manger qu’au petit déjeuner ?

En tout cas Papa est tout content et rassasié.

Je ne suis pas une parfaite maman. Oui, je ne suis parfaite dans aucun domaine. J’ai arrêté depuis longtemps d’essayer de l’être quand j’ai compris que la perfection sénégalaise n’existe pas aux yeux des gens.

Les sénégalais ne seront jamais satisfaits donc autant « be you do you » …

C’est mon credo.

Son frère Omar s’est régalé ; il faut dire que Penda, la domestique, s’est surpassée, comme toujours. Tiens, il ne faut pas que je la perde, celle-là. Pourvu qu’elle ne décide pas de se marier, comme « gnome kou ssi marier bayyi ligueye », genre le mariage pour une femme est gage de sécurité financière parfois aussi « lou djikk ndiaga gno ndiakk » …

Bref, « Monsieur Mon Mari » Mor m’a félicitée pour ce repas « succulent ».

Urban Man : Mor  

Quand tes parents décident de t’appeler MOR, t’es foutu dès le départ !

A-t-on vu un Mor marquer l’histoire pour les bonnes raisons ?!?

Le premier s’est fait littéralement enterrer vif pour de la viande, un foutu os !

Le second, Mor Thiam, le vendeur de Cola, champion toute catégorie.

Puis moi, Mor, troisième du nom, Mor Yomb’lé.

Combien de fois j’ai dû me bagarrer quand on me chantonnait « Mor Yomb’lé loy Diay… »

J’étais doublement foutu dès le départ en fait.

Par moment quand je suis seul dans ma tête, le monologue intérieur devient bizarre. Mais là, aujourd’hui, je n’ai vraiment pas le temps pour ces bêtises.

A la télé, Ils ont parlé de pandémie, d’arrêt de travail et de probable confinement. Ma définition du confinement : Devoir me taper la tronche de Saly 24h/24.

Saly, c’est ma femme. Mais ne vous y méprenez pas, je l’aime ce bout de femme, j’en suis raide dingue même.

C’est l’amour de ma vie, la mère de mes deux princes.

Bon, après, je suis bien Mor Yomb’lé et ce n’est rien que de dire que « dama Yomb’lé torop » … Suivez mon regard.

Ce n’est rien que de vous dire que la situation est vraiment tendue. Il y a tellement de dangers dans les parages.

Il suffirait d’une minute d’inattention, qu’elle jette un coup d’œil à mes conversations WhatsApp et je suis un homme mort !

Je vais désinstaller l’application ! Non, ce serait trop bizarre ! Dormir avec mon téléphone ? Aller sous la douche avec ? Bloquer certains contacts ?!? Dans tous les cas, je suis déjà foutu ! Il faut que je trouve un moyen de contourner ce confinement. Il me faut de la sérénité, il faut que je réfléchisse, que je me mette en mode « THE Mor : calamité calme, optimiste et obstiné, serial entrepreneur et futur retraité heureux (avec Saly toujours dans ma vie) »

Je suis un chef d’entreprise responsable, je pourrai toujours me dégoter une autorisation de circuler. Tous les moyens sont bons pour ne pas rester confiné.

Cela étant, il y a aussi le bon côté de la chose. Je pourrais profiter de mes enfants. Saly pourrait au moins cuisiner pour moi, enfin !

Oui, je joue bien le jeu puisqu’il m’arrive de comprendre son statut de femme active. Ce soir, comme hier et avant-hier, elle viendra me servir ce repas qu’elle a soi-disant préparé de ses mains de chef, et moi je vais faire semblant de ne pas reconnaître les mains expertes de la bonne.

Que voulez-vous ? Le mariage est parfois fait de compromis. En plus Saly, elle en a tellement bavé à cause de moi… Ah oui, j’allais oublier, confinement est aussi égal à « djaagar djaagari » non-stop dans la maison.

Oh Mon Dieu ! Ce fameux « Djaagar Djaagari » …

J’ai beau être Mor Yomb’lé avec tous mes défauts mais, au fond, je suis un mec bien et je connais la valeur de ma femme. Elle cependant en est arrivée à un stade où elle n’est plus dans ce mariage que pour l’amour de ses enfants.

Et s’il y’a une seule personne à tenir responsable de cette situation, c’est bien moi !

Mais vous savez quoi, ce confinement c’est l’occasion rêvée de séduire ma belle et douce femme une nouvelle fois et d’insuffler de l’air frais dans ce mariage…

A suivre…

Madame et ses dames

Nous étions tranquillement en train de diner, ma moitié et moi, discutant de ci, de ça, lorsque LA phrase fatidique vint s’immiscer dans notre conversation :

– Chéri… Je pense que je vais changer de domestique…
– Encore ! Pourquoi ? lui répondis-je, en reposant mon couvert.

Et voilà, c’était reparti ! Et pourtant les choses commençaient toujours bien, et chaque fois qu’une nouvelle débutait à la maison, ma femme disait qu’elle était mieux que la dernière…

Mais une fois le « round d’observation » fini, au bout de quelques jours, ou semaines, parfois, Madame constatait les défauts et manquements de Awa, Marie ou Bintou… C’est qu’elle est perfectionniste, Madame, et veut que tout soit toujours i.m.p.e.c.c.a.b.l.e.

Attitude légitime, surtout lorsqu’il s’agit de mes chemises, qui, je dois l’avouer, étaient parfaitement repassées pendant les premières semaines, et de plus en plus froissées au fur et à mesure que le temps passait.

Même moi certaines choses m’exaspéraient, finalement.

Ce n’était pas un manque de volonté de bien faire de la part de l’employée de maison, je pense, mais plutôt le fait qu’on est jamais satisfait du travail qu’on peut faire soi – même. C’était d’autant plus évident lorsqu’il s’agit de préparer les repas : Soit il y avait trop d’huile, ou pas assez, soit ce n’était pas assez salé ou trop épicé.

Madame tenait à ce que « son homme » mange bien, lorsque ce n’était pas elle qui cuisinait !

Je l’entendais pester dans la cuisine, lorsqu’elle découvrait que la domestique n’avait pas bien épluché les pommes de terre, oublié de laver les couverts.

Je l’admirais, elle qui chaque soir, rentrée à la maison, aussi fatigué qu’elle puisse être, passait en revue tous les travaux domestiques qu’elle avait confié à la domestique.

C’était important pour elle que tout soit en ordre, propre et bien rangé.

Je l’entendais aussi chaque matin donner des directives, rappelant à l’ordre sur telle ou telle chose, encourageant sur telle ou telle autre, usant de patience et de compréhension. Mais on n’est jamais satisfait du travail d’autrui lorsqu’on peut le faire soi-même…

Ainsi, en attendant de trouver la perle rare, les week-ends, madame s’occupait elle-même des travaux domestiques, montrant, expliquant à la domestique comment faire ci, préparer cela.

Ce n’était qu’au bout de plusieurs tentatives d’amélioration que ma femme se décidait, à défaut de ne pouvoir atteindre la perfection souhaitée avec la domestique, de changer, en embaucher une autre, en espérant qu’elle serait mieux que la précédente. Certaine duraient des mois, d’autres quelques semaines…

Elle n’était pas la seule dans ce cas, à l’entendre discuter au téléphone avec ces amies : la bonne ci, la bonne ça ! Même celles recrutées par l’entremise des maisons de placement ne trouvaient pas entière satisfaction à leurs yeux.

Alors finalement elles échangeaient des trucs et astuces, des numéros et des contacts, pour enfin dénicher celle qui ferait l’affaire, pour un temps, jusqu’à la prochaine « chéri, je pense que je vais changer de domestique… »

Urban Man avril 2011

La sérénade nocturne des gardiens sérères

J’habite dans un petit coin de Dakar, plus précisément près de scat – urbam, entre la VDN et les deux voies de liberté VI extension.

Mon appartement se trouve dans l’enceinte du CICES, sur les terrains qui ont été offerts à certains dignitaires du régime… Suis en location, bien entendu ! Suis pas un ponte de l’alternoce moi !!!

Beaucoup de constructions en cours et nous sommes souvent réveillés les dimanches par le bruit des pelleteuses et machines à béton, des coups de marteaux et autres cris et injures des maçons.

On fait avec, car le quartier est sûr, et en ces temps qui courent mieux vaut mettre bien à l’abri sa petite famille.

La vie est calme, à Dakar, on vit comme on peut, on s’accroche, se bat et avance.

On est heureux de faire partie quand même de la catégorie « ça va juste comme il faut, ni plus, ni moins ». Comme on dit, « niou ngui sant Yalla » d’être « du bon côté de la barrière » (?!?)

On regarde la ville se transformer, les gens changer, on a parfois des regrets des temps passés, on est nostalgique des jours où on se sentait chez soi, dans sa ville, princes d’une ville que nous connaissions comme notre poche, lorsque nous marchions des Maristes à Ouakam, buvions du thé au virage et nous éclations dans une boite qui portait le nom des moyens de transports communément utilisés à Paris.

Aujourd’hui, ndakarou ndiaye ressemble à un fruit trop mûr, qui s’apprête à exploser, et qui laisse suinter des flux de pauvreté extrême et de richesses éhontée. 

Le jour où ma cité va craquer…

Chaque jour on entend des drames, des incendies, des émeutes, des meurtres, des milliards volés, des filles violées.

Instinctivement de plus en plus je verrouille les portes de ma voiture, alors qu’à une époque nous roulions « cheveux au vent ».

Pour le peu qu’il m’en reste aujourd’hui, je préfère les garder sur ma tête, plutôt que d’être scalpé à une intersection par une bande de gamins qui ne voit en moi que ce qu’ils n’ont pas. Thiey, s’ils savaient !!!

Finalement elle n’est plus très calme, cette ville – là.

Et elle est lourde à porter. Je sens son poids chaque fois que je sors d’un avion, de retour de mes « jamais là, viens de partir, arrive bientôt ».

Je sens son atmosphère m’envelopper comme un épais manteau, bien lourd à supporter.

Parfois j’ai envie de me casser, mais c’est ma ville, et je l’aime car elle m’a vu naître et me regarde le sourire en coin essayer de la dominer, de la maitriser, de m’y a-da-p-ter, in-sé- rer, ré-u-ssir, cons-trui-re.

Fatigué des fois, las de vouloir étreindre ses si belles mamelles et de regarder du haut de sa poitrine ses tentacules qui s’étendent au – delà de Diamniadio.

Cette ville a un goût amer, mais j’aime ce goût, comme celui de la noix de cola que croquent à longueur de journée les retraités déchus qui ont vendu toutes leurs maisons aux marchands chinois de pacotilles.

On rentre le soir cassé, d’avoir couru, l’oreille collée au téléphone, stressé.

 

Dieu merci j’adore mon boulot mais il me laisse bien peu de temps pour profiter du reste.

Mais bon, comme l’avait dit l’autre, on passe la première moitié de sa vie à courir, et l’autre moitié à enfin se reposer.

Je me demande si un jour ce temps viendra pour moi…

Certains soirs, dans mon lit, lorsqu’enfin je pose ma tête sur mon oreiller, j’entends juste en bas de chez moi le son d’une guitare.

C’est celle d’un des gardiens sérères du quartier, qui chante de douces mélopées de son village natal.

Autour de lui se rassemblent alors les autres gardiens, qui l’accompagnent en chœur de contralto et sopranos.

Ces chants grimpent à ma fenêtre et me réchauffent, me bercent jusqu’à ce que Morphée me prenne la main.

Et je me dis qu’il n’y a qu’ici, dans cette ville, que je pourrais entendre ces litanies qui apaisent et font qu’après tout, elle n’est pas si mal, ma vie, ma ville.

Et monte la nuit le chant des gardiens sérères, la douce sérénade nocturne de ceux qui veillent sur mon sommeil et mes rêves…

Dakar, 31 mars 2014