J’habite dans un petit coin de Dakar, plus précisément près de scat – urbam, entre la VDN et les deux voies de liberté VI extension.
Mon appartement se trouve dans l’enceinte du CICES, sur les terrains qui ont été offerts à certains dignitaires du régime… Suis en location, bien entendu ! Suis pas un ponte de l’alternoce moi !!!
Beaucoup de constructions en cours et nous sommes souvent réveillés les dimanches par le bruit des pelleteuses et machines à béton, des coups de marteaux et autres cris et injures des maçons.
On fait avec, car le quartier est sûr, et en ces temps qui courent mieux vaut mettre bien à l’abri sa petite famille.
La vie est calme, à Dakar, on vit comme on peut, on s’accroche, se bat et avance.
On est heureux de faire partie quand même de la catégorie « ça va juste comme il faut, ni plus, ni moins ». Comme on dit, « niou ngui sant Yalla » d’être « du bon côté de la barrière » (?!?)
On regarde la ville se transformer, les gens changer, on a parfois des regrets des temps passés, on est nostalgique des jours où on se sentait chez soi, dans sa ville, princes d’une ville que nous connaissions comme notre poche, lorsque nous marchions des Maristes à Ouakam, buvions du thé au virage et nous éclations dans une boite qui portait le nom des moyens de transports communément utilisés à Paris.
Aujourd’hui, ndakarou ndiaye ressemble à un fruit trop mûr, qui s’apprête à exploser, et qui laisse suinter des flux de pauvreté extrême et de richesses éhontée.
Le jour où ma cité va craquer…
Chaque jour on entend des drames, des incendies, des émeutes, des meurtres, des milliards volés, des filles violées.
Instinctivement de plus en plus je verrouille les portes de ma voiture, alors qu’à une époque nous roulions « cheveux au vent ».
Pour le peu qu’il m’en reste aujourd’hui, je préfère les garder sur ma tête, plutôt que d’être scalpé à une intersection par une bande de gamins qui ne voit en moi que ce qu’ils n’ont pas. Thiey, s’ils savaient !!!
Finalement elle n’est plus très calme, cette ville – là.
Et elle est lourde à porter. Je sens son poids chaque fois que je sors d’un avion, de retour de mes « jamais là, viens de partir, arrive bientôt ».
Je sens son atmosphère m’envelopper comme un épais manteau, bien lourd à supporter.
Parfois j’ai envie de me casser, mais c’est ma ville, et je l’aime car elle m’a vu naître et me regarde le sourire en coin essayer de la dominer, de la maitriser, de m’y a-da-p-ter, in-sé- rer, ré-u-ssir, cons-trui-re.
Fatigué des fois, las de vouloir étreindre ses si belles mamelles et de regarder du haut de sa poitrine ses tentacules qui s’étendent au – delà de Diamniadio.
Cette ville a un goût amer, mais j’aime ce goût, comme celui de la noix de cola que croquent à longueur de journée les retraités déchus qui ont vendu toutes leurs maisons aux marchands chinois de pacotilles.
On rentre le soir cassé, d’avoir couru, l’oreille collée au téléphone, stressé.
Dieu merci j’adore mon boulot mais il me laisse bien peu de temps pour profiter du reste.
Mais bon, comme l’avait dit l’autre, on passe la première moitié de sa vie à courir, et l’autre moitié à enfin se reposer.
Je me demande si un jour ce temps viendra pour moi…
Certains soirs, dans mon lit, lorsqu’enfin je pose ma tête sur mon oreiller, j’entends juste en bas de chez moi le son d’une guitare.
C’est celle d’un des gardiens sérères du quartier, qui chante de douces mélopées de son village natal.
Autour de lui se rassemblent alors les autres gardiens, qui l’accompagnent en chœur de contralto et sopranos.
Ces chants grimpent à ma fenêtre et me réchauffent, me bercent jusqu’à ce que Morphée me prenne la main.
Et je me dis qu’il n’y a qu’ici, dans cette ville, que je pourrais entendre ces litanies qui apaisent et font qu’après tout, elle n’est pas si mal, ma vie, ma ville.
Et monte la nuit le chant des gardiens sérères, la douce sérénade nocturne de ceux qui veillent sur mon sommeil et mes rêves…
Dakar, 31 mars 2014