Par Andy
Nous sommes depuis quelques heures déjà en route pour Dakar, après une semaine chargée et riche en émotions dans la zone Nord. Cette mission portait sur l’alphabétisation dans le monde rural.
A chaque arrivée dans une nouvelle ville, il y’a ce sentiment enivrant qui prend le dessus. Ce sentiment qui nous fait comprendre qu’il reste tant de choses à découvrir.
J’ai mis ma Play List préférée « longue distance » ; une sélection musicale colorée et variée. Parfois mélancolique et rythmée. J’en profite aussi pour contempler le paysage. Il diffère d’une ville à une autre. Entre les dépotoirs à ciel ouvert et la verdure, le gap est tout de même profond. Cet univers me donne l’impression qu’il ne cessera jamais d’exister.
Nous sommes vers Rufisque, presque arrivés malgré la chaleur et les 5 heures de route au lieu des 3 en moyenne pour ce genre de trajet. Je suis là, participant quelques fois à la discussion de mes collègues, mais mon esprit divague. Je pense à la condition des femmes et à la protection de l’environnement, sous nos cieux.
L’appel : Vous savez ces jours où tout devient comme hors du temps, où vous vous lancez dans quelque chose dont vous n’avez pas l’habitude mais qui s’inscrit tout de même dans un univers familier. Et c’est justement cette subtilité entre l’étrange et l’habitude qui rend ces journées … magiques.
Vers 11h, tout allait bien jusqu’à ce que je reçoive cet appel de mon père. De nature taquine, il a été très froid sur ce coup, allant à l’essentiel :
Papa : Allo Andy, foléne tollou nii?
Moi : Hello Papa, tu fais peur déh lou khéw ? Mba diameu ?
Papa : Maman vient de faire une crise, j’ai appelé les urgences et ils ne vont pas tarder. Je te rappellerai pour te dire où nous retrouver.
J’ai eu l’impression de mettre un temps fou avant de réagir. La cadence dans mon cœur augmente, respirer l’air m’est difficile, je tremble. Je suis tétanisée par la peur. Ma voix est le reflet de mon état faiblard, ébranlé.
Quelques minutes plus tard, je n’ai plus cette sensation d’être grignotée par les flammes, c’est presque fini et ma respiration devient normale.
J’explique aux covoiturants et demande au chauffeur dans combien de temps je serai à la maison, il me confirme qu’il pourra m’y déposer dans 5 minutes… Ce qui m’a marqué, c’est à quel point la notion du temps et d’espace était différente et extensible, c’était très perturbant.
L’arrivée des pompiers m’a bouleversée. Le véhicule s’est approché sans que je ne le vois. Toute cette équipe aux gestes assurés l’a prise en charge, a vérifié son état de santé et a procédé aux premiers soins…
Même si nous sommes dans une famille, super entourés, j’ai senti ma maman fondamentalement seule.
Ce qui me fait comprendre que je ne suis qu’une goutte d’eau dans un univers immensément grand. Nous avons suivi les soldats du feu jusqu’aux urgences de l’hôpital. Papa m’a demandé d’aller dans la salle d’attente et de le laisser s’occuper de l’interview médicale. J’ai senti que c’était pour me protéger, parce qu’ayant l’habitude de tout prendre à cœur.
La vie est pleine de surprises, pleine de ce qu’on en fait mais aussi de choses qu’on ne peut pas contrôler.
La plupart du temps, les patients admis aux soins intensifs n’avaient aucune idée s’ils termineraient la journée à l’hôpital.
La salle d’attente : Chaque patient qui arrive a une histoire qui lui est propre et une situation complexe à analyser. Leur accompagnant est là pour les épauler dans cette période de stress et d’incertitude. Avec eux, j’ai appris que les médecins et le personnel médical faisaient un travail remarquable et très fatigant. Dans la salle d’attente, j’en retrouve plusieurs qui attendent, le retour d’un soignant ou tout simplement le réveil du patient. Ils ont les yeux rivés çà et là, mais leur attention est ailleurs, tout comme leur esprit.
Après le salamalec d’usage, je m’installe. Papa continue de m’informer de la situation par texto. A vrai dire, je ne compte plus mon temps dans les salles d’attente, ce temps perdu, ce temps qui ne sert à rien. Son atmosphère de tristesse enfouie, son parfum d’attente stérile éternelle, son ambiance de déception. Il y a ces rares, très rares salles d’attente où tu vas échanger quelques mots avec quelqu’un. Aujourd’hui, je n’avais aucune envie de me taire, mais de m’exprimer. J’en ai besoin, c’est ma thérapie du moment !
Une dame assise à côté de moi attire particulièrement mon attention. Elle doit avoir l’âge de grand-mère. Elle porte des habits sobres, et égrène son chapelet. On aperçoit à peine ses minces sourcils qui ont disparu sur son visage avec le temps. Je me suis donc permise de lui demander de prier pour ma mère et en ai profité pour savoir si l’état de « son malade » se stabilisait.
La discussion se fait facilement. Une véritable visite guidée de son histoire mélangée d’expériences personnelles et d’anecdotes croustillantes. Elle me fait savoir qu’elle est au chevet de son mari, en réanimation depuis 3 jours, et me confie que, défoncée aux médicaments, elle a perdu la notion du temps et sait qu’elle va devoir rester encore un peu dans cet état.
« Ma fille, ma vie est dure et l’inquiétude est permanente. Je sais que l’esprit de mon mari essaye désespérément, dans ces instants-là, de se raccrocher à la vie, de renouer un contact avec ceux qui l’entourent. Mais une fatigue immense comme un océan l’engloutit à chaque fois, le faisant battre en retraite, gardant son ultime force pour respirer encore. Tout le monde a la responsabilité d’assumer son existence, disait-il. Il a aussi assumé la mienne, m’a protégée et aimée. A mon tour, je prierai de toute mon âme pour que son horizon s’éclaircisse et que les nuages gris puissent s’estomper ».
Elle parle beaucoup et j’aime ça, j’aime l’écouter. On discute encore et encore. Je comprends petit à petit qu’on ne se reverrait sûrement plus jamais après ça. Ça me déçoit un peu, mais ça ne m’attriste pas non plus.
Mon téléphone sonne, c’est papa qui m’annonce que maman a été orientée et se porte de mieux en mieux maintenant.
Je lui annonce la bonne nouvelle et lui souhaite un bon dénouement. Nos chemins se quittent, on se serre la main, puis je pars sans me retourner.
Je me suis souvenue que la bienveillance n’est pas seulement revenue à la mode, elle est inhérente à l’espèce humaine.
Malgré l’état d’esprit du moment, je n’aurais cru être si heureuse d’avoir discuté avec une parfaite inconnue.
J’ai plus que jamais apprécié le réconfort de la solidarité.