Mon travail m’amène souvent à devoir répondre à des invitations à déjeuner, diner, after-work, sorties nocturnes, soirées de galas, défilés, etc.
Bon, avouons-le, d’une manière générale, et depuis toujours, j’aime sortir, aller vers les gens, dans différents endroits, différents milieux.
Je pense d’ailleurs avoir fait toutes les boites et tous les bars de cette ville…
J’aime discuter et surtout observer la faune nocturne de Dakar, celle qui mue le soir, pressée de tomber les masques, ou d’en porter d’autres, après avoir été enfermée durant toute la journée dans la cage des convenances sociales et professionnelles, des « monsieur ci, madame là ».
Dakar la nuit est une autre ville, avec d’autres personnes, que l’on a croisée grises et banales plus tôt, en costume cravate ou tailleur strict et modéré, coincées entre bureaux, patrons stressants, employés énervants et mails urgents à envoyer.
La trêve du Ramadan fut dure pour certains, littéralement obligés d’hiberner, de se terrer, tels des oiseaux nocturnes, allergiques au Soleil.
Lorsqu’enfin le soleil se cache derrière les Mamelles, que le Phare prend la relève et que les lumières du strip des Almadies s’allument, commence alors le défilé des voitures tous genres, toutes marques, tous modèles, des portables qui sonnent, des klaxons qui hurlent et ne laissent s’échapper qu’une seule phrase : « on va où ce soir ? ».
On voit alors enfin, arrivée la nuit, ma ville montrer son vrai visage, celui des personnes qui se lâchent, oublient soucis et problèmes, jusqu’au lendemain, au réveil douloureux, visages blêmes et blafards, encore sourds de la veille.
On voit alors des jeunes (et moins jeunes !) loups de la finance, devenir loup tout court, aux dents longues et aiguisées, voulant croquer les belles innocentes demoiselles, pas si innocentes et naïves que ça, qui auront tendu les rets de leurs pièges avec la précision des traits de rimmel tirés sur leurs visages.
On voit alors la comédie des tours et atours, des attraits et traits tirés fardés et maquillés, des regards sur le nombre de bouteilles aux tables, pour savoir d’où tu viens, qui tu connais, combien pèse ton compte en banque.
Dakar la nuit s’oublie, danse, lascivement, sensuellement, car la nuit Dakar n’a cure des inondations et des intempéries, des « coupelec », de la dépense à acheter et des factures à payer.
Dakar la nuit marche en haut talons, sous les néons, dans le bruit des klaxons, ne répondant pas aux provocations des mecs pressés de baisser leurs pantalons…
Dakar la nuit fait tomber les barrières sociales, car il est difficile de distinguer la banlieusarde de Ben Barak de la jeune petite fille de Fann Résidence, car il est difficile de différencier l’ouvrier de son patron, elles sont toutes belles, ils s’habillent tous de la même façon !
Ce qui est amusant ce sont ces lendemains où l’on se croise, faisant semblant de n’avoir pas dansé ensemble quelques heures auparavant.
Ah ! Ma ville, Dakar schizophrène, au doux et double visage :
Karda by night, allant se coucher au rythme des dernières lumières de la nuit, croisant sur le chemin de son antre, Dakar qui se lève, au petit matin, aux premières lueurs du jour, de la vie.
Dakar des femmes poissonnières du Marché Kermel, avec leurs bassines encombrant les premiers cars rapides.
Dakar des petites gens s’échinant, à leur dur labeur, rêvant de pouvoir, juste pour une nuit, faire la cour, à Karda by Night…
initially published October 2010, revised march 2018